XXXI

La suite qu'ils occupaient au Four Seasons Olympic Hôtel, à Seattle, situé à proximité de l'autoroute 5 et très fréquenté, leur paraissait bien choisie pour ne pas se faire remarquer. Ils l'avaient transformée en un véritable PC, jonché de cartes, de matériel informatique, de câbles et d'imprimantes.

La tension y était presque palpable. Ils avaient trouvé le centre névralgique de cette organisation de l'ombre baptisée Prométhée, un lieu où se tenait, ce soir-là, une rencontre au sommet. Harry Dunne avait dit vrai, tous les gros bonnets étaient là ; les loueurs de limousines en ville n'avaient plus aucun véhicule disponible : il y avait un important « service » ce soir, qui exigeait un grand nombre de voitures. La plupart des loueurs se montraient discrets, mais l'un d'entre eux ne put s'empêcher de lâcher le nom de l'organisateur de la soirée : Gregson Manning. Les vols se succédaient toute la journée à l'aéroport Seattle-Tacoma, les voitures pour VIP s'alignaient, plusieurs d'entre elles protégées d'escortes armées, venant prendre l'invité à sa descente d'avion. Mais aucun nom n'était donné — confidentialité maximale.

Il en était de même pour le secret qui paraissait entourer la vie et la carrière de Gregson Manning. On avait l'impression de lire et relire dans les journaux les deux ou trois mêmes documents bibliographiques donnés en aumône par le service des relations publiques du magnat... on avait beaucoup écrit sur l'homme mais personne ne savait grand-chose.

Bryson et Elena en apprirent davantage sur sa fameuse résidence au bord d'un lac. La construction de cette forteresse électronique, la « maison intelligente », comme on l'appelait, avait duré des années, une entreprise largement couverte par la presse, suivant une savante stratégie de communication... Après avoir essayé en vain de refouler les reporters, Manning avait finalement décidé de leur ouvrir grandes les portes, pour mieux diriger leurs articles : un coup de maître. La maison était décrite en termes grandiloquents dans des guides de voyages, faisait l'objet de reportages détaillés dans Architectural Digest ou Maison & Jardin, comme dans le New York Times Magazine et le Wall Street Journal.

Plusieurs de ces articles étaient illustrés de photos, parfois même de plans rudimentaires, évidemment incomplets, mais qui permirent à Elena et Bryson d'avoir une idée de la disposition générale des lieux et de la fonction de la plupart des pièces. La forteresse « futuriste » de cent millions de dollars était retranchée si profondément dans le flanc de la colline que la plus grande partie en était souterraine. Une piscine intérieure avait été créée, ainsi qu'un court de tennis et un cinéma « Art déco » parfaitement imité. Il y avait également des salles de réunion et une pléthore d'installations sportives — salle de gymnastique avec trampoline, piste de bowling, stand de tir, terrain de basket et un green de golf. Le gazon entourant la maison descendait jusqu'au bord du lac — détail qui avait son importance pour Bryson. Un ponton, pouvant accueillir deux bateaux, avait été construit sur le rivage. Un parking géant de béton et d'acier était enfoui sous la pelouse centrale.

Mais le plus remarquable, aux yeux de Bryson, c'était que la maison était entièrement automatisée : tout l'appareillage électronique, tous les dispositifs étaient interconnectés et commandés, localement ou à distance, à partir du siège de Systematix à Seattle. La maison était programmée pour satisfaire les moindres besoins de l'hôte et de ses invités. Chaque visiteur recevait un badge électronique où étaient enregistrés ses désirs, ses goûts et ses préférences, qu'il s'agisse d'art pictural ou de musique, de lumière ou de température. Des signaux émis par le badge étaient reçus par des centaines de capteurs. Où que les visiteurs aillent dans la maison, les lumières s'éteindraient ou brilleraient selon leurs désirs, la température se réglerait, leur musique favorite serait diffusée par un jeu d'enceintes invisibles. Des écrans vidéo, encastrés dans les murs et simulant des tableaux encadrés, diffusaient constamment des images tirées des quelque vingt millions de tableaux ou objets d'art dont Manning avait patiemment acquis les droits. Ainsi, les visiteurs pourraient ne contempler sur les murs que les œuvres qu'ils aimaient, icônes russes ou peintures de Van Gogh, Picasso, Monet, Kandinsky, Vermeer... La résolution des écrans vidéo était si fine que les hôtes croyaient admirer les œuvres originales.

En revanche, ce public ne savait pas grand-chose du système de sécurité protégeant le Xanadu « high-tech » de Gregson Manning. Tout ce que Bryson put apprendre fut que le dispositif était très puissant, que des caméras étaient cachées partout, même dans l'épaisseur des murs de pierre, et que les badges électroniques des visiteurs et du personnel ne se contentaient pas de programmer la musique et l'éclairage de leurs souhaits, mais retransmettaient au poste de contrôle le moindre de leurs déplacements intra-muros avec une précision de dix centimètres. L'ensemble du système était commandé depuis le siège de Systematix ; on prétendait l'endroit mieux gardé que la Maison-Blanche. Pas étonnant, songea Bryson avec cynisme, puisque Manning a plus de pouvoir que le président !

— Ce serait bien utile d'avoir les plans de construction de la maison, annonça Bryson, après avoir parcouru avec Elena les piles d'articles photocopiés à la bibliothèque de Seattle ou téléchargés sur Internet.

— Mais comment faire ?

— Ils devraient être conservés à l'hôtel de ville, il y en a sept tiroirs pleins, sous clé. Mais je suis à peu près sûr qu'ils ont été « perdus ». Les gens comme Manning s'arrangent en général pour que les documents « sensibles » s'égarent. Et comble de malchance, l'architecte vit à Scottsdale. Il a sans doute encore les plans originaux... mais on n'a pas le temps de prendre un avion pour l'Arizona. Il nous faut donc employer les grands moyens.

— Nicholas, dit Elena en le regardant avec inquiétude, que vas-tu faire ?

— Il faut que j'entre. C'est là qu'est le siège du complot ; la seule façon de l'arrêter, c'est d'aller sur place et de se rendre compte.

— Comment ça ?

— Voir ce qui se passe, identifier les membres — ceux dont nous ignorons les noms. Prendre des photos, enregistrer des preuves en vidéo. Tout dévoiler au grand jour. C'est le seul moyen.

— Mais, Nicholas, c'est comme si tu voulais pénétrer dans Fort Knox...

— C'est, d'une certaine manière, plus facile et plus difficile...

— Et plus dangereux...

— Oui. Plus dangereux. Surtout sans l'appui logistique du Directorat. Nous sommes tout seuls.

— Il faudrait joindre Ted Waller.

— Je n'ai aucun moyen de l'avertir ; je ne sais même pas où il est...

— S'il est toujours vivant, il va bien finir par nous contacter.

— Il sait comment faire. Les appels téléphoniques sont reçus par des répondeurs, les messages codés sont enregistrés et transmis à leur destinataire. Je vérifie régulièrement mais il n'a pas encore refait suface. Ted n'a pas son pareil pour disparaître sans laisser de traces.

— Mais pénétrer chez Manning par tes propres moyens, c'est de la folie...

— Ce sera difficile. Mais avec ton aide, et ton expérience en informatique, on a peut-être une chance. Un des articles mentionnait que le système de sécurité pouvait être commandé depuis le siège de Systematix.

— Je ne vois pas en quoi cela nous arrange. Il est probable que Systematix est encore mieux protégé que la résidence de Manning.

— Certes. Mais le point vulnérable pourrait être la jonction entre les deux. A ton avis, comment la maison est-elle connectée à la société ?

— Ils ont dû opter pour la méthode la plus sûre.

— Qui est ?

— Un câble à fibres optiques. Enterré dans le sol, reliant physiquement les deux lieux.

— On peut pirater des fibres optiques ?

Elle leva brusquement les yeux, puis un léger sourire se dessina sur son visage.

— Presque tout le monde croit que c'est impossible.

— Et toi ?

— Moi, je sais que c'est possible.

— Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

— Nous l'avons déjà fait. Il y a quelques années, le Directorat a mis au point plusieurs techniques astucieuses.

— Tu pourrais le faire ?

— Bien sûr. Il faut se procurer un peu de matériel, mais on trouve tout ça dans n'importe quel magasin d'informatique.

Bryson l'embrassa.

— Formidable. Je dois acheter quelques accessoires et aller repérer les abords de la propriété. Mais il faut d'abord que j'appelle la Californie.

— Qui ça en Californie ?

— Une société à Palo Alto avec qui j'ai été en rapport autrefois, sous un nom de couverture. Fondée par un émigré russe, Victor Chevtchenko, un génie en optique. Il est sous contrat avec le Pentagone mais cela ne l'empêchait pas de vendre au marché noir pas mal de matériel classé secret défense... C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance, au cours d'un grand coup de filet organisé par le Directorat. Je l'ai laissé tranquille, je n'ai pas fait de rapport sur ses activités... libre, il pouvait nous conduire à du plus gros gibier... Il m'a été très reconnaissant de mon indulgence... le moment est venu de me renvoyer l'ascenseur. Victor est l'une des très rares personnes à pouvoir me fournir l'appareil dont j'ai besoin. Si j'arrive à le contacter maintenant, il aura tout juste le temps de me l'expédier par avion pour ce soir.

*

Bryson consacra l'heure qui suivit à surveiller la maison de Manning, muni d'une paire de jumelles, discrètes mais très puissantes ; il s'était posté à la lisière de la forêt qui jouxtait le domaine, à l'abri des regards ; la propriété occupait environ trois hectares en bordure du lac.

La sécurité, dans la mesure où Bryson put en juger, était extrêmement sophistiquée. Une clôture métallique haute de deux mètres cinquante défendait l'accès, bardée de détecteurs à fibres optiques. Impossible d'escalader le treillis, ou de sectionner les mailles. Le bas de la clôture était noyé dans le ciment, interdisant le creusement d'un tunnel pour franchir l'obstacle par le dessous. Un système de capteurs de pression était enterré à une faible profondeur, pouvant détecter la présence d'un intrus ; la pression exercée par les pieds sur les capteurs modifiait le flux lumineux et déclenchait l'alarme. De plus, tout le périmètre était gardé par des caméras de surveillance placées sur des poteaux le long de la clôture. Il n'était pas question d'entrer par ce chemin.

Mais tout système de sécurité avait ses points faibles.

En premier lieu, il y avait la forêt adjacente à la propriété, dans laquelle il se trouvait. Puis, il y avait le lac, qui lui semblait offrir la meilleure voie d'approche... Bryson retourna à sa Jeep de location, cachée parmi les arbres, loin de la route la plus proche. Sur le chemin du retour, il croisa une fourgonnette blanche qui entra dans la propriété de Manning. Sur les flancs, il était écrit : Réceptions et Repas de Fêtes. Sans doute le service de traiteur pour les festivités du soir. Bryson jeta un coup d'œil sur les passagers de la fourgonnette.

Une autre possibilité lui était venue à l'esprit.

*

Il avait tant de courses à faire et si peu de temps devant lui... Bryson trouva facilement un magasin d'articles de sport spécialisé dans l'escalade — rien d'étonnant dans cette capitale de la côte Pacifique adossée aux montagnes. Par chance, il s'agissait d'une grande boutique, vendant également des articles de chasse... cela lui évita de chercher une armurerie dans toute la ville. Mais il lui fallut se rendre dans un autre magasin pour acheter du matériel de plongée... Il dénicha dans les pages jaunes l'adresse d'un fournisseur de matériel industriel de sécurité, qui avait pour clients des entreprises de construction, des sociétés de pose de lignes téléphoniques, de laveurs de vitres, etc. Il y trouva exactement ce dont il avait besoin : un treuil électrique portable, fonctionnant sur batterie, silencieux, monté dans un carter léger en aluminium, avec un câble de sécurité à retour automatique — près de soixante-dix mètres de câble d'acier galvanisé, un système de descente télécommandée et un mécanisme de freinage centrifuge.

Un fournisseur de pièces détachées pour ascenseurs avait exactement ce qu'il cherchait... de même qu'un magasin de surplus militaires où un employé lui recommanda un stand de tir tout proche. Il acheta un 45 semi-automatique à un jeune gars qui s'entraînait, et qui partagea l'irritation de Bryson pour les maudites lois sur les armes et les délais d'attente... surtout pour un brave type comme lui qui voulait seulement aller tirer quelques cartouches dans les bois pendant un week-end de camping.

Piles et fils électriques étaient disponibles dans une simple quincaillerie... mais il s'attendait à rencontrer plus de difficultés pour dénicher un bon fournisseur de matériel de théâtre. Par chance, le Hollywood Theatrical Supply, sur North Fairview Avenue, vendait et louait tous les équipements possibles et imaginables pour le théâtre et le cinéma. Les studios d'Hollywood et les sociétés de production venaient souvent tourner sur la côte Nord-Ouest et avaient grand besoin d'un fournisseur local.

La seule pièce qui manquait encore à sa panoplie était cet appareil exotique classé secret défense. Victor Chevtchenko, l'inventeur de l'oscillateur à cathode virtuelle, s'était fait tirer l'oreille pour lui en prêter un exemplaire, mais s'était laissé convaincre lorsque Bryson lui rappela qu'il n'y avait pas prescription pour les crimes portant atteinte à la sécurité de l'État et qu'il pouvait toujours faire un rapport. Cet argument, appuyé par le versement de cinquante mille dollars sur un compte de l'inventeur aux îles Caïmans, acheva de conclure le marché.

Lorsque Bryson retourna au Four Seasons, Elena avait elle aussi fait ses emplettes. Elle avait même téléchargé sur son ordinateur une carte au dix-millième de la forêt bordant le domaine de Manning.

Après que Bryson lui eut raconté le fruit de ses observations, Elena demanda :

— Ce n'est pas plus simple d'entrer là-bas comme un traiteur ou, peut-être, un fleuriste ?

— Je ne crois pas. J'y ai réfléchi... à mon avis, les fleuristes sont sous escorte dès leur entrée ; ils font leur travail, et on les raccompagne jusqu'à la porte. En supposant même que je puisse entrer avec eux, il me serait impossible, ensuite, de m'esquiver, de quitter les autres, sans faire sonner le branle-bas de combat dans toute la maison.

— Mais les traiteurs ? Une fois entrés, ils restent bien tout le temps que dure la soirée...

— Les traiteurs me seront peut-être utiles, mais pas de cette manière... A en croire le peu que j'ai lu sur la paranoïa de Manning, tous les employés des services de restauration doivent avoir fait l'objet d'une enquête minutieuse ; les vigiles ont leurs photos, leurs empreintes digitales, et les laissez-passer électroniques sont sans doute faits à leur arrivée. Vouloir pénétrer dans la place déguisé en traiteur est pratiquement impossible. Jamais ils n'accepteraient de laisser entrer quelqu'un dont ils ne savent rien. J'ai donc loué un bateau ; c'est la seule façon d'arriver par le rivage.

— Mais... ensuite ? La pelouse doit être sous surveillance.

— C'est évident. Mais d'après mes observations, cela reste le point d'entrée le plus fragile. Et toi, tu as appris quelque chose sur la liaison, sur ce câble reliant la maison à Systematix ?

— Je vais avoir besoin d'une camionnette, déclara-t-elle.

*

A la sortie de Seattle, le ministère de l'Agriculture met à disposition un grand dépôt pour les véhicules de l'Office des forêts. A côté du bâtiment principal, sur un parking en plein air, étaient alignés plusieurs petits camions verts portant l'écusson du service forestier. Ils étaient laissés là, presque sans aucune surveillance.

Bryson emmena Elena dans les bois jouxtant le domaine Manning. Elle portait une chemise et un pantalon verts achetés dans un magasin de surplus de la marine — la tenue qui se rapprochait le plus de l'uniforme des employés de l'Office des forêts.

Il leur restait quatre heures avant d'entrer en action... l'heure « H » était prévue pour vingt et une heures.

Ils marchèrent en forêt le long de la clôture délimitant la propriété, en prenant soin de rester assez loin des caméras et des détecteurs à pression. Elena cherchait le câble de fibres optiques enterré qui devait partir de la maison et traverser une petite partie de la forêt nationale.

Elle savait qu'il était là. La propriété de Manning se trouvait à environ cinq kilomètres du quartier général de Systematix, le câble assurant une communication directe entre les deux. Pendant la construction de la maison, l'entrepreneur de Manning avait envoyé une demande officielle au ministère de l'Agriculture pour avoir l'autorisation d'enfouir sur son terrain dix mètres de câble optique pour rejoindre la route. Le formulaire, qui était du domaine public et facile à obtenir en ligne, comportait un détail qui avait attiré l'attention d'Elena : l'obligation d'installer un dispositif appelé répéteur optique. C'était un boîtier qui faisait fonction d'amplificateur, afin de renforcer le signal tout au long du parcours puisqu'il y avait toujours quelques pertes sur les longues distances.

Il était facile de se brancher sur un tel relais, si on connaissait un peu la question. Elena était justement une experte...

Restait à savoir où passait la ligne...

Après quelques minutes, elle appelait l'installateur qui avait posé les kilomètres de ligne :

— M. Manzanelli ? Mon nom est Nadya. Je travaille au Service géologique fédéral. Nous prenons des échantillons de sols pour contrôler l'acidification, et nous ne voudrions pas couper accidentellement un câble à fibres optiques...

Elle précisa la section de la forêt dans laquelle elle était censée faire ses prélèvements...

— Vous plaisantez ou quoi ! répliqua l'installateur. Vous ne vous souvenez pas du ramdam que ça a fait lorsqu'on a voulu creuser une tranchée dans votre bout de forêt ?

— Je suis désolé, M. Manzanelli. Je ne connais pas ce dossier et...

— Ces connards du Service des Forêts n'ont jamais voulu donner le permis. Pourtant M. Manning était prêt à lâcher un demi-million de dollars dans l'affaire, pour les nouvelles plantations et tout le reste... mais non ! Il a fallu poser un conduit en surface tout le long de la clôture !

— C'est effectivement bien regrettable... Je suis sûre que notre nouvelle direction aurait accédé à la requête de M. Manning.

— Avez-vous une idée de ce que M. Manning verse à l'État, rien qu'en impôt foncier ?

— Au moins, nous ne risquons pas de couper l'une des lignes de M. Manning. La prochaine fois que vous le rencontrerez, dites-lui que nous apprécions tous, au Service géologique, ce qu'il a fait pour le pays.

Elena raccrocha et se tourna vers Bryson.

— Bonne nouvelle. Nous venons de gagner trois heures de boulot !

*

Peu après seize heures, Bryson fut averti, par le service fret de la Pacific Airline, qu'un colis était arrivé à son intention à l'aéroport de Seattle-Tacoma. Mais il y avait un problème : il ne lui serait livré par camion que le lendemain matin.

— Vous vous fichez de moi ? tonna Bryson au téléphone. J'en ai besoin au laboratoire de contrôle-qualité ce soir même, j'ai un contrat de cinquante mille dollars enjeu !

Quelques minutes avant six heures, Bryson, dans sa camionnette de location, se gara devant le terminal du fret. La machine de cinq cents kilos fut chargée dans la camionnette au moyen d'un treuil, avec l'assistance de trois employés qui se confondaient en excuses.

Une heure plus tard, il pénétrait avec la camionnette dans les bois voisins de la propriété Manning, à une centaine de mètres du camion vert de l'Office des forêts. Il manœuvra et plaça l'arrière du véhicule face à la clôture métallique... assez loin pour ne pas être détecté par les caméras de sécurité. Il ouvrit le hayon et positionna l'oscillateur de façon qu'il ait dans son champ tout le complexe Manning. Les nombreux arbres alentour qui abritaient la propriété et la dissimulaient aux regards indiscrets ne nuisaient en rien au bon fonctionnement de la machine. Au contraire, c'était un camouflage idéal pour l'oscillateur du savant russe.

Il prit un sac plein de petits disques, chacun connecté à une cartouche de mise à feu qui détonerait en recevant un signal émis par radio. Il rejoignit la route à travers bois, puis, tout en longeant la clôture, hors du champ des caméras et des détecteurs, il commença à lancer les disques par-dessus la barrière, un par un, tous les cinquante mètres. Les charges étaient trop petites pour attirer l'attention. Au cas où quelqu'un surveillerait les écrans de contrôle — ce qui était peu probable puisque les caméras étaient là pour assurer une détection visuelle seulement en cas d'alerte —, le vigile ne verrait qu'une petite chose floue traverser l'écran, et penserait qu'il s'agissait de quelque brindille lâchée par un oiseau, peut-être d'un insecte. Rien qui mérite une inspection sur place.

*

A l'intérieur du fourgon vert de l'Office des forêts, Elena connectait rapidement ses appareils. Son ordinateur portable était maintenant relié au répéteur optique au moyen d'un câble de six mètres qui courait, parfaitement invisible, sous le camion, puis sous la végétation jusqu'au boîtier relais. Elle avait posé une dérivation dans un premier temps, juste pour écouter et surveiller, sans rien transmettre. Elle était venue avec tout un tas de logiciels, achetés dans le commerce ou qu'elle avait écrits pour l'occasion. Elle procédait à ce qu'on appelle un « balayage furtif » du système de sécurité, afin de savoir quel type de programme de détection s'y trouvait. Elle injecta un programme destiné à surcharger le système avec une grande quantité de données — à saturer les mémoires tampons. Elle envoya alors dans le circuit un pisteur de réseau pour déterminer l'architecture du système de sécurité et connaître les modes de communication internes.

En l'espace de quelques secondes, elle « tenait la boutique », selon l'expression consacrée des hackers. Elle n'avait jamais pratiqué de piratage informatique, mais avait depuis longtemps appris les méthodes et les astuces des hackers, à l'image d'un agent sur le terrain qui savait tout des techniques des cambrioleurs et des perceurs de coffres-forts.

Une précaution qui se révélait aujourd'hui payante. Elle était dans la place.

*

Le canot de pêche en aluminium était muni d'un moteur hors-bord Evinrude de quarante chevaux. Bryson se déplaçait rapidement sur le lac, bercé par les petites vagues. Le bruit du moteur était très faible, et emporté loin de la propriété de Manning par le vent dominant. Dès qu'il aperçut la ligne de flotteurs orange qui marquait la limite des eaux privées, devant le ponton et la grande pelouse, il réduisit la vitesse puis coupa le moteur, qui toussota et s'éteignit. Il aurait pu dépasser la ligne de flotteurs, mais Bryson supposait que Manning avait mis en place un système de sécurité quelconque pour détecter l'approche d'une embarcation étrangère.

De l'endroit où il se trouvait, il distinguait déjà la maison éclairée par des projecteurs, un assemblage de béton, s'accrochant au versant de la colline. La plus grande partie étant souterraine, la demeure paraissait plus modeste qu'elle ne l'était réellement. Bryson jeta l'ancre... mieux valait garder l'embarcation à proximité, pour le voyage du retour s'il y en avait un... Il avait dit à Elena — lui avait même juré — que son plan prévoyait une voie de repli, mais ce n'était pas vrai. Le savait-elle au fond de son être ? Soit il gagnait et restait en vie, soit il perdait et était tué. Il n'y avait pas de moyen terme.

Rapidement, il rassembla son matériel. Malgré son désir de conserver une liberté de mouvement optimale, il devait s'équiper de toutes sortes d'instruments en prévision des nombreux obstacles qui l'attendaient sur son chemin. Il aurait été trop bête de rester bloqué parce qu'il avait omis de prendre le jeu complet de passe-partout. Son gilet commando était alourdi par une collection d'armes, d'habits pliés avec soin et autres objets, tous protégés dans des sacs plastique étanches.

Il appela Elena par radio.

— Comment ça marche ?

— Bien. — Sa voix était claire et forte, pleine d'espoir. — Les yeux sont ouverts.

Elle avait réussi à pénétrer le circuit de vidéosurveillance.

— Jusqu'où voient ces yeux ? demanda Bryson.

— Il y a des zones nettes, et d'autres qui le sont moins...

— Où sont les flous ?

— Le secteur des appartements privés. Le monitoring doit être local...

Elle voulait dire que, dans la partie non publique de la maison, les caméras étaient commandées non pas depuis le siège de Systematix mais depuis un poste de contrôle intra-muros. Manning, à l'évidence, tenait à conserver un semblant d'intimité.

— C'est dommage...

— Oui. Mais il y a une bonne nouvelle. Je leur ai préparé une bonne redif !

Elle avait piraté les enregistrements de la veille des caméras vidéo et avait imaginé un système pour les réinjecter dans le réseau interne, de sorte que les moniteurs de contrôle allaient diffuser des images datant de vingt-quatre heures, à l'insu des vigiles !

— Excellent ! Mais attends la fin de la première phase. A plus ! Je reprends contact après mon bain.

Il avait choisi, pour se glisser furtivement dans la maison, une tenue noire Nomex ultra-légère. Le tissu synthétique n'offrant aucune protection thermique en milieu aqueux, Bryson avait dû enfiler une combinaison de plongée. Pour l'instant, il avait trop chaud, mais l'eau glacée du lac ne tarderait pas à le rafraîchir. Sur sa veste commando, il enfila un gilet compensateur de flottabilité, qui était relié aux bouteilles d'air comprimé. Il régla les sangles à ouverture rapide et la ceinture de lest, coiffa son masque de plongée en silicone et plaça l'embout du détendeur dans sa bouche. Après une deuxième inspection rapide de son équipement, il s'agenouilla près du bord du bateau et plongea dans l'eau, tête la première.

II y eut un splash ! et il se retrouva flottant à la surface du lac. Il regarda autour de lui, s'orienta et commença à dégonfler son gilet. Il se laissa couler lentement sous la surface, l'eau était froide et d'une pureté cristalline. A mesure qu'il descendait, l'eau devenait de plus en plus boueuse et opaque. Il s'arrêta pour égaliser les pressions de l'air et sentit un léger claquement dans ses oreilles. Arrivé à une vingtaine de mètres de profondeur, on ne voyait plus à trois mètres. Ce n'était guère de très bon augure ; il lui faudrait progresser lentement, avec beaucoup de précautions. Comme un cosmonaute en apesanteur, il commença à nager vers le rivage.

Il tendit l'oreille, dans la crainte d'entendre le bourdonnement caractéristique d'un sonar — mais il n'y avait que le silence... ce qui était rassurant dans un sens, mais aussi inquiétant : il y avait nécessairement un système de sécurité quelque part.

C'est alors qu'il l'aperçut.

Flottant là, à moins de trois mètres de lui, se balançant dans l'eau comme quelque prédateur marin. Un filet !

Mais non un simple filet de pêcheur. Une barrière de sécurité sous-marine high-tech. Une toile entretissée de fibres optiques, formant des panneaux sensoriels sous alarme, connectés à une centrale électronique par câble optique. Il s'agissait d'un système de détection d'une exceptionnelle sophistication, utilisé d'ordinaire pour protéger les installations de la marine militaire

Le filet de défense était relié en surface à une série de bouées et ancré au fond du lac au moyen de poids. Impossible évidemment de le traverser, ni de le couper sans déclencher l'alarme. Il dégonfla encore son gilet de flottabilité jusqu'à toucher le fond du lac et examina le filet de plus près. Il avait installé un système analogue au Sri Lanka ; avec ce genre de dispositif, les fausses alarmes n'étaient pas rares ; le filet s'usait du fait du mouvement de l'eau, des mailles cassaient, ou encore des animaux marins, poissons ou crustacés, pouvaient se faufiler à travers, être pris au piège ou même couper les câbles... C'était loin d'être un système parfait.

Mais Bryson ne pouvait courir le risque de déclencher les sirènes. Le personnel de sécurité de Manning devait être, ce soir, en état d'alerte maximale. Ils ne négligeraient aucun signal d'alarme.

Il remarqua que sa respiration était courte, sans doute le stress. Cela se traduisit aussitôt par une sensation d'essoufflement, comme s'il ne pouvait remplir ses poumons. Une bouffée de panique l'envahit... Bryson ferma les yeux pendant un moment, s'efforça de retrouver son calme... enfin sa respiration redevint normale.

Ce filet est conçu pour interdire l'accès à des bateaux ou à des engins sous-marins, songea-t-il, non à des plongeurs ni à des nageurs.

Il se mit à genoux et examina le lest qui maintenait la base du filet. Le fond du lac était fait de vase, un sédiment mou et boueux qui cédait à la moindre pression. Il y enfonça la main et se mit à creuser avec les doigts. Un nuage s'éleva autour de lui, l'eau devint un mur opaque. Très vite, et sans aucune peine, il eut creusé au-dessous du filet une tranchée dans laquelle il pouvait se glisser. Alors qu'il rampait à plat ventre sous la structure, les mouvements de l'eau firent onduler les mailles. Mais cela ne pouvait suffire à déclencher l'alarme, l'eau du lac n'était jamais immobile.

Bryson était passé de l'autre côté, dans les eaux privées de Manning. Il tendit l'oreille pour s'assurer qu'aucun sonar ne surveillait le secteur. Rien. Le silence encore.

Et si je me trompe ?

... Je le saurai bien assez tôt.

Ce n'était pas le moment de douter. Il nagea droit devant lui, chassant de son esprit toute pensée négative, jusqu'à arriver en vue des pieux moussus du ponton. Il contourna la forêt de pieux par la gauche, pour se diriger vers le hangar à bateaux dont il avait repéré l'emplacement plus tôt dans l'après-midi. L'eau devenait de moins en moins profonde ; la surface du lac se trouvait à cinquante centimètres au-dessus de lui. Il dégonfla complètement son gilet, se mit à marcher sur le fond du lac, jusqu'à ce que sa tête émerge de l'eau. Il était sous le ponton. Bryson enleva son masque, tendit l'oreille, scruta la nuit... personne en vue. Il retira son gilet, les bouteilles d'air comprimé et plaça tout son équipement de plongée sur l'une des poutrelles du ponton. Il pourrait ainsi le récupérer au besoin.

Si je survis jusque-là.

Bryson agrippa le bord du ponton et sortit de l'eau. Le hangar à bateaux l'empêchait de voir la maison... mais le dissimulait aussi à la vue des occupants... La pelouse était dans l'ombre, éclairée seulement, aux abords de la maison, par la lumière qui filtrait des hautes fenêtres cintrées. Assis sur le bord du quai, il retira sa tenue de plongée en néoprène, renfila son gilet commando, puis sortit ses armes et ustensiles de leurs sacs plastique protecteurs. Il rampa ensuite jusqu'au hangar à bateaux et se remit debout ; le garage était sombre et apparemment vide. S'il se trompait, il avait un 45 dans l'une des poches de son gilet. Il sortit l'arme et se dirigea vers la grande pelouse.

Pour l'instant, tout allait bien. Mais il était encore loin, très loin, du but. Et les dispositifs de sécurité allaient s'intensifier à mesure qu'il s'approcherait de la résidence. Il ne pouvait relâcher sa vigilance. Il couvrit son visage d'une cagoule noire et sortit d'une poche son Metascope, un système de vision infrarouge qu'il plaça devant son œil droit.

Il vit aussitôt les rayons !

La pelouse était entièrement zébrée de faisceaux détecteurs de mouvement, probablement connectés à des caméras infrarouges. Personne ne pouvait traverser la pelouse centrale sans couper un rayon. Mais les faisceaux ne descendaient pas sous une hauteur d'un mètre environ, afin d'éviter, sans doute, que des animaux ne déclenchent l'alarme.

Des chiens ?

C'était possible. Oui, il y avait probablement des chiens de garde, bien qu'il n'en ait vu ni entendu aucun.

Le Metascope était prévu pour être monté sur la tête, laissant ainsi les mains libres. Il en aurait besoin. Il fixa l'oculaire au moyen de la courroie ad hoc, l'œillère bien assujettie à sa place. Maintenant, il pouvait se lancer dans la traversée de la pelouse tout en évitant les rayons infrarouges.

Mais, au moment où il se mettait à quatre pattes pour passer sous les rayons, il entendit un son qui lui fit froid dans le dos.

Un faible gémissement, un grognement de chien. Il redressa la tête. Plusieurs chiens traversaient la pelouse au trot et leur allure s'accélérait d'instant en instant ... Pas des petits chiens de compagnie. Des dobermans à la gueule effilée, dressés pour tuer.

Son estomac se serra. Nom de Dieu !

Ils galopaient à présent, perchés sur leurs longues pattes comme des chevaux, aboyant sauvagement, lèvres retroussées, tous crocs dehors... Vingt mètres, estima-t-il, mais se rapprochaient rapidement. Il sortit de son gilet un propulseur de fléchettes tranquillisantes ; le cœur battant, il visa et tira. Quatre petits claquements étouffés, et le pistolet à courte portée, fonctionnant avec une cartouche de dioxyde de carbone, projeta quatre seringues hypodermiques de dix centimètres. La première se perdit dans la nuit, les trois autres atteignirent leurs cibles. Sans bruit, deux chiens tombèrent au sol dans la seconde, le troisième, le plus gros, fit encore quelques pas en titubant avant de s'effondrer à son tour. Chaque projectile injectait dix millilitres d'un neuroleptique à base de Fentanyl à action instantanée.

Bryson transpirait à grosses gouttes et ne pouvait s'empêcher de trembler. Malgré toutes ses précautions, il avait failli se faire prendre de court, n'ayant sous la main ni son propulseur à fléchettes, ni son 45. Quelques secondes de plus, et il était cerné, les mâchoires puissantes l'attaquant à la gorge ou à l'entrejambe. Il resta allongé de tout son log sur le gazon humide de rosée — il attendait. Il pouvait y voir d'autres chiens, une deuxième vague... les aboiements pouvaient avoir attiré l'attention des gardiens... C'était probable. Mais même des chiens bien dressés pouvaient se laisser abuser ; s'ils cessaient d'aboyer, les gardes penseraient qu'ils avaient simplement fait la chasse à un lapin.

Trente secondes... quarante-cinq secondes de silence. La combinaison Nomex et la cagoule noires le faisaient se fondre de la nuit noire. Il n'y avait pas d'autres chiens dans le secteur. De toute façon, Bryson ne pouvait attendre davantage. Conformément à la réglementation en vigueur, le parking souterrain devait être équipé d'un système de ventilation, or celui-ci se trouvait juste sous la pelouse ; des grilles d'aération devaient donc être installées dans les parages... L'un des articles sur la construction de la maison faisait allusion à une joute entre Manning et la Direction de l'Équipement à propos de l'enclavement dudit parking, surnommé par le maître des lieux La Grotte, parce qu'on y pénétrait par une longue rampe d'accès taillée dans la roche, partant de l'autre côté de la maison. Devant l'insistance des services publics, Manning avait fait des concessions et ajouté un système de ventilation qui s'ouvrait discrètement sur la pelouse centrale.

Bryson recommença à ramper sur le gazon, se déplaçant vers la gauche, en prenant soin des rester en dessous des rayons infrarouges. Pas la moindre bouche d'aération. Il rampa encore sur trois mètres, montant la légère pente vers la maison, et enfin, sous les doigts, le contact froid de l'acier... Il saisit la grille, prêt à la déboulonner s'il le fallait, mais celle-ci céda après quelques tractions.

L'ouverture n'était pas grande, quarante-cinq centimètres sur soixante centimètres environ, suffisante toutefois pour s'y faufiler. Restait une question : quelle était la profondeur du boyau ? Les murs intérieurs étaient en béton : on ne pouvait d'y accrocher — aucune prise possible. Bryson aurait aimé trouver un chemin d'accès plus aisé, mais il s'était préparé à cette situation. Au cours de ses vingt années d'opérations sur le terrain, il avait appris à prévoir le pire ; c'était la garantie du succès. Le col du conduit, sur lequel la grille reposait, était en acier — c'était déjà ça...

Il scruta le boyau avec son oculaire de vison nocturne ; pas trace de rayons infrarouges. Il retira le Metascope, qui commençait à lui irriter la peau, et le mit dans poche.

Il sortit sa radio et appela Elena.

— Je descends. Lance les effets. Allumage phase un.

La trahison de Prométhée
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